Journalistes et attachés de presse : sortir du malentendu permanent
"Informer ou séduire" : et si ce n’était pas incompatible ?
Dans un paysage saturé, où la vitesse l’emporte trop souvent sur la vérification, l’écosystème de l’information est fragilisé. La défiance s’installe. En France, selon le baromètre La Croix / onepoint / Kantar (janvier 2025) seulement 32% des Français estiment que l’on peut avoir confiance dans ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité, tandis que 62% jugent qu’il faut s’en méfier. Dans ce contexte instable, les attachés de presse ne peuvent plus se contenter d’un rôle d’intermédiaire discret. Leur fonction est désormais stratégique — et observée.
Parce qu’ils interviennent en amont du circuit de fabrication de l’information, les communicants ne sont pas de simples messagers ; ils en sont un maillon actif. Leur responsabilité ne se limite pas à transmettre. Elle engage la qualité de ce qui circule. À ce titre, ils peuvent renforcer la clarté ou entretenir la confusion. Contribuer à filtrer le bruit ou l’amplifier. Mais encore faut-il qu’ils acceptent un niveau d’exigence accru — et qu’ils soient reconnus comme des interlocuteurs professionnels légitimes, pas comme des gêneurs.
Rompre avec le réflexe de défiance
Journalistes et attachés de presse n’exercent pas le même métier. L’un informe dans l’intérêt du public. L’autre représente un tiers, souvent dans une logique d’image ou de visibilité. Leurs finalités divergent. Elles peuvent même entrer en tension.
Mais elles ne sont pas inconciliables. À condition de partager un socle minimal : rigueur sur les faits et informations sourcées, clarté des intentions, refus de manipuler l’information. Rien d’héroïque, simplement une discipline commune. Ce socle, aujourd’hui, est loin d’être garanti.
Les communicants, sous pression, privilégient parfois le volume à la véracité, les formats prêts-à-diffuser à l’information vérifiée. Les journalistes, débordés, en viennent à rejeter toute parole issue de la communication, même quand elle est solide. Ce double réflexe nuit à la qualité de l’information et alimente la fragmentation du débat public.
Instaurer une coopération exigeante
Il ne s’agit pas de gommer les différences. Il s’agit de construire un mode de collaboration lucide, fondé non sur la connivence mais sur la rigueur. Interrogés en 2024 par le SYNAP, un panel de journalistes indiquait pour 67% d’entre eux que les informations transmises par les conseillers en relations médias représentaient plus de 50% de leurs sources d’information, en recul de 4 points par rapport à 2022. Toutefois, au-delà du volume, c’est la qualité même des éléments transmis qui était plébiscitée puisque 83% du panel considèrent que ces informations leur sont utiles, voire très utiles, et ce chiffre est en augmentation de 6 points par rapport à 2022.
Cette coopération implique de repenser la formation, des deux côtés. Les écoles de journalisme gagneraient à intégrer une pédagogie du dialogue avec la communication. Non pour s’y soumettre, mais pour mieux en décrypter les logiques. Côté RP, il ne suffit plus de former à convaincre, il faut former à produire des contenus fiables, ouverts à la contradiction, utiles à la compréhension. Un impératif d’autant plus crucial à l’heure où le recours non maîtrisé à l’intelligence artificielle facilite la génération de contenus standardisés, sans sources, sans nuances, sans responsabilité. La tentation de l’automatisation est réelle, mais elle ne peut se substituer à l’exigence éditoriale. Ce n’est pas non plus une ambition toujours facile à faire entendre aux entreprises, qui attendent de la visibilité immédiate. Mais c’est précisément là que réside, depuis toujours, une part essentielle de notre rôle — et qu’il faut aujourd’hui assumer avec constance : sensibiliser nos clients à une communication rigoureuse, crédible, compatible avec les attentes des journalistes — et les besoins d’un public en quête de repères.
Faire de l’éthique une pratique, non une posture. Et comprendre que dans une chaîne de l’information fragilisée, la fiabilité est un bien commun. Elle ne se décrète pas, elle se construit ensemble.
Sophie Decaudin
Co-Présidente du SYNAP