Ce communiqué de presse n’est pas une publicité

Le 9 mai dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.
Le SYNAP tire la sonnette d’alarme sur ce texte qui, par sa formulation, ferait entrer des articles ou reportages de journalistes dans la catégorie « publicitaire », obligeant leurs auteurs à y apposer la mention « publicité ».

Cette semaine, le Sénat a adopté la proposition de loi qui visait à encadrer l'influence commerciale sur les réseaux sociaux. En soi, la nouvelle est plutôt une bonne chose : elle permettra d’assainir le domaine de la production de contenus, en offrant un dispositif légal efficace pour lutter contre les dérives de certains influenceurs !

Mais à y regarder de plus près, le SYNAP (Syndicat National des Attachés de presse et des chargés de relations publics) s’inquiète de l’impact négatif qu’une telle loi, si elle était votée en l’état, aurait sur le métier qu’il défend. 

Une définition trop vague qui n’exclut pas les journalistes

En consultant le texte en lui-même, on peut se rendre compte que le texte donne une définition trop floue de « l’influenceur commercial », et si large qu’elle peut s’appliquer à d’autres professionnels que ceux qu’il est censé viser.

Voici ce que dit l’article 1er de la proposition de loi, telle qu’adoptée par le Sénat :

« Les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, communiquent au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion,directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque exercent l’activité d’influence commerciale par voie électronique. »

Si l’on applique le texte au pied de la lettre, il apparait que sont considérés comme « influenceurs commerciaux » - et donc soumis à cette loi si celle-ci est adoptée - le journaliste, le critique, l’élu, le consommateur ou le citoyen, dès lors qu’ils publient un avis positif sur un média en ligne ou sur les réseaux sociaux à la suite d’un événement, d’une expérience ou d’un prêt organisé sans exigence de contrepartie. Dans ce cadre, un journaliste qui rédigerait un article pour annoncer la sortie d’un nouveau produit après l’avoir testé, devrait impérativement apposer à son article la mention « Publicité » sous peine de tomber sous le coup de cette loi si elle passait...

Et au passage, les peines encourues sont plutôt lourdes, puisque le texte précise :

« La violation des dispositions du présent article est punie de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende »

Frédérique Pusey, présidente du SYNAP, explique : « A la suite des revendications de notre partenaire, le Syndicat des Conseils en Relations Publics, le Sénat a assuré que « la loi ne s’applique qu’aux influenceurs ». Dont acte. Toutefois, en l’état actuel et malgré les amendements déposés pour préciser la notion de « titre onéreux » qui se sont vus rejetés, la proposition de loi, ainsi rédigée, englobe de fait les journalistes, dès l’instant que ceux-ci ont bénéficié d’un prêt de produit, ont participé à un voyage de presse ou ont interviewé le porte-parole d’une entreprise lors d’un déjeuner de presse. Et c’est bien là qu’est le danger, pour eux et pour nous ! »

Les agences de RP, co-responsables dans ce délit ?

Le SYNAP attire également l’attention sur l’article 2 qui pourrait gravement impacter sa filière. En effet, celui-ci précise que le fait de « mettre en relation à titre onéreux » est considéré au titre de complicité du délit. Pour être pragmatique, lorsqu’une agence RP ou un indépendant est mandatée par une entreprise pour informer les journalistes (rappelons que ces derniers sont considérés dans ce texte comme des influenceurs recevant de l’information à titre onéreux), un contrat est signé entre les parties. Et si l’agence ou l’indépendant, pour sensibiliser les journalistes envoie un produit ou invite le journaliste à un voyage de presse, elle devient de fait, aux yeux de cette proposition de loi, un « Agent d’influenceurs »

Le SYNAP s’allie au Syndicat du Conseil en Relations Publics (SCRP) qui, dans un communiqué, en appelle aux parlementaires qui composeront la Commission Mixte Paritaire à renforcer la définition juridique d’influence commerciale en exigeant l’existence “d’engagements réciproques”. Cette disposition permettrait de limiter l’application de la loi aux contenus produits dans le cadre d’une véritable collaboration commerciale et non les contenus qui relèvent de la seule liberté d’expression et qui sont la grande majorité des milliers de contenus produits quotidiennement sur les réseaux sociaux et dans les médias en ligne. 

Frédérique Pusey conclut : « Certains journalistes à qui nous avons parlé sont persuadés que leur carte de presse ou le respect de leur déontologie les tiendront à l’écart de l’application de cette proposition de loi. Mais en l’espèce et la forme de cette proposition de loi, le SYNAP n’est pas aussi sûr qu’eux. Alors mieux vaut que les choses soient claires avant qu’elles ne soient ancrées dans le marbre d’une loi promulguée. Parce que dans sa forme votée par le Sénat, le texte est, à notre sens, inapplicable et liberticide, et constituerait une entrave sérieuse à la liberté d’expression contraire à l’esprit initial de la loi qui frappera non seulement les influenceurs, mais également les journalistes, les élus et tous les citoyens utilisateurs des réseaux sociaux ».

Quelques exemples de cas professionnels non exclus du texte actuel

Avec la terminologie utilisée dans cette proposition de loi, ne sont actuellement pas exclus de la notion de « influenceurs commerciaux » les journalistes, les élus et tous les citoyens utilisateurs des réseaux sociaux.

Prenons quelques exemples de professionnels non visés directement mais non exclus par la terminologie utilisée dans ce texte et qui donc entrent dans le champ d’application de la proposition de loi adopté par le Sénat :

  • un journaliste qui teste une voiture qu’une marque aurait mise à sa disposition pour un essai ;
  • un critique convié à un spectacle de théâtre ou à la projection d’un film ;
  • un élu politique qui inaugure ou visite le salon du livre sans payer sa place ;
  • un consommateur qui reçoit un échantillon ; 
  • un citoyen qui reçoit de la part d’une ONG des préservatifs en vue d’une campagne de prévention…

Le SYNAP se rallie à la position du SCRP dans ses conclusions

En véritable partenaire du SCRP et travaillant sur de nombreux projets ensemble dans le but de faire évoluer le métier de chargé de relations publics, il était tout naturel que le SYNAP se rallie à la position exprimée par le SCRP cette semaine : 

« A la lecture du texte adopté (…) au Sénat, nous sommes très inquiets tant il dessert les intentions initiales et nuira aux créateurs de contenu, à l’économie des médias, et plus largement, au tissu économique national et local ».

Le SYNAP et le Syndicat du Conseil en Relations Publics, afin de « limiter ces effets de bords potentiellement dramatiques », appellent ainsi les Parlementaires qui composeront la Commission Mixte Paritaire à renforcer la définition juridique d’influence commerciale, en exigeant l’existence d’engagements réciproques. Pour les 2 organisations, cette disposition permettrait ainsi de limiter l’application de la loi aux contenus produits dans le cadre d’une véritable collaboration commerciale et non aux contenus qui relèvent de la seule liberté d’expression et qui sont la grande majorité des milliers de contenus produits quotidiennement sur les réseaux sociaux et dans la presse accessible en ligne.